Quelques jours
après la réouverture des restaurants en Norvège, un témoignage d’avant-gout du
monde « post déconfinement ».
« Les
restaurants ont réouvert mercredi, on était heureux. Mais quand on est arrivé
dans le bar, les gens criaient », commente Gunnhild « C’était lunaire,
ça hurlait. Au début je me suis dit que c’était bien, les gens se parlent avec
entrain, ils sont heureux de retrouver un peu de contact social. Mais après,
j’ai compris que c’était des gens de la même famille qui n’avaient juste pas eu
le droit de s’asseoir ensemble. Ils étaient répartis dans tout le restaurant à
un mètre de distance les uns des autres à cause des nouvelles règles sanitaires
»
« Deux groupes
et on affiche complet, nous indique Tor Erik le patron. « Les gens avaient pris
des réservations des mois à l’avance pour s’assurer un diner dans mon bar PMU.
On a quadrillé l’espace avec les chaises pour monter à 7 couverts tout en
respectant les règles de sécurité. L’ennui c’est qu’un client se prend la porte
de la cuisine dans le dos à chaque passage, mais au moins on optimise.»
Interrogée,
Trine, la soixantaine bien tassée – dit qu’elle était venue pour arroser le
fait d’avoir survécu au Covid. Mais elle ajoute, déçue « J’ai dû faire la
girouette et m’égosiller pour parler à mes amis assis plus ou moins loin de moi
sans pouvoir quitter ma place assise sans l’autorisation du patron. J'ai même
dû lever la main 15 minutes pour avoir le droit d'aller aux toilettes. Au bout
d'une heure, je suis rentrée chez moi prendre deux dolipranes. Déjà que quand
Per Olav boit il parle fort mais là – c’était devenu insupportable. Il voulait
absolument débattre de pour ou contre le pangolin hydroalcoolique. C’est quand
même idiot un tapage nocturne alors qu’il fait tout le temps jour. »
«Jamais vu des
norvégiens se crier dessus en dix ans dans ce pays » ajoute Claire-Marion,
une expat. « Ca m’a rappelé ma stagiaire de 23 ans qui me parle fort et
lentement en se penchant vers moi du haut de son mètre 80, comme si elle était
en EPHAD. C’est la génération Z… Hier, elle a refusé de m’approcher au bureau
parce qu’elle me considère comme population à risque. »
Nous bavardons
avec un dernier client, « je suis écœuré, j’étais en date. C’était tout sauf
discret, il fallait brailler pour s’entendre. Quand je pense que c'était le
désert pendant deux mois. C’était horrible, un des invités de la famille a
voulu faire gouter son plat à un autre et il a dû lui jeter la bouffe à cause
des mesures de sécurité. Je me suis pris une grosse cuiller de lasagnes dans le
cou, pile quand elle me disait son prénom pour la quatrième fois ».
Le serveur Pär
doit lancer les menus, et les clients lui injectent des mots à 120 décibels
(SEL ! ADDITION !) "On utilise 8 assiettes par client contre 2 à 3 en
temps normal, nous explique Tor Erik, déconfit. Heureusement que Pär a fait du
basketball au lycée. On a quand même retiré les ragouts en sauce de la carte.
Une cliente a été hospitalisée."
« C’est vrai que c’est dur. Mais on
applique les règles. Quand l’élan est cuit, il faut le traire, comme on dit
chez nous » a commenté le serveur.
« En même
temps il est suédois, conclut Per Olav, qui sort enfin du bar. Ils ont été
neutres au corona virus comme ils étaient neutres pendant la seconde guerre
mondiale. Nous on est content, ils ont beaucoup plus de morts que nous ! »