jeudi 14 mai 2020

Episode 54: Déconfinement et restauration : à quoi s'attendre (titre à putaclic)


Quelques jours après la réouverture des restaurants en Norvège, un témoignage d’avant-gout du monde « post déconfinement ».

« Les restaurants ont réouvert mercredi, on était heureux. Mais quand on est arrivé dans le bar, les gens criaient », commente Gunnhild « C’était lunaire, ça hurlait. Au début je me suis dit que c’était bien, les gens se parlent avec entrain, ils sont heureux de retrouver un peu de contact social. Mais après, j’ai compris que c’était des gens de la même famille qui n’avaient juste pas eu le droit de s’asseoir ensemble. Ils étaient répartis dans tout le restaurant à un mètre de distance les uns des autres à cause des nouvelles règles sanitaires »

« Deux groupes et on affiche complet, nous indique Tor Erik le patron. « Les gens avaient pris des réservations des mois à l’avance pour s’assurer un diner dans mon bar PMU. On a quadrillé l’espace avec les chaises pour monter à 7 couverts tout en respectant les règles de sécurité. L’ennui c’est qu’un client se prend la porte de la cuisine dans le dos à chaque passage, mais au moins on optimise

Interrogée, Trine, la soixantaine bien tassée – dit qu’elle était venue pour arroser le fait d’avoir survécu au Covid. Mais elle ajoute, déçue « J’ai dû faire la girouette et m’égosiller pour parler à mes amis assis plus ou moins loin de moi sans pouvoir quitter ma place assise sans l’autorisation du patron. J'ai même dû lever la main 15 minutes pour avoir le droit d'aller aux toilettes. Au bout d'une heure, je suis rentrée chez moi prendre deux dolipranes. Déjà que quand Per Olav boit il parle fort mais là – c’était devenu insupportable. Il voulait absolument débattre de pour ou contre le pangolin hydroalcoolique. C’est quand même idiot un tapage nocturne alors qu’il fait tout le temps jour. »

«Jamais vu des norvégiens se crier dessus en dix ans dans ce pays » ajoute Claire-Marion, une expat. « Ca m’a rappelé ma stagiaire de 23 ans qui me parle fort et lentement en se penchant vers moi du haut de son mètre 80, comme si elle était en EPHAD. C’est la génération Z… Hier, elle a refusé de m’approcher au bureau parce qu’elle me considère comme population à risque. »

Nous bavardons avec un dernier client, « je suis écœuré, j’étais en date. C’était tout sauf discret, il fallait brailler pour s’entendre. Quand je pense que c'était le désert pendant deux mois. C’était horrible, un des invités de la famille a voulu faire gouter son plat à un autre et il a dû lui jeter la bouffe à cause des mesures de sécurité. Je me suis pris une grosse cuiller de lasagnes dans le cou, pile quand elle me disait son prénom pour la quatrième fois ».

Le serveur Pär doit lancer les menus, et les clients lui injectent des mots à 120 décibels (SEL ! ADDITION !) "On utilise 8 assiettes par client contre 2 à 3 en temps normal, nous explique Tor Erik, déconfit. Heureusement que Pär a fait du basketball au lycée. On a quand même retiré les ragouts en sauce de la carte. Une cliente a été hospitalisée."

  « C’est vrai que c’est dur. Mais on applique les règles. Quand l’élan est cuit, il faut le traire, comme on dit chez nous » a commenté le serveur. 

« En même temps il est suédois, conclut Per Olav, qui sort enfin du bar. Ils ont été neutres au corona virus comme ils étaient neutres pendant la seconde guerre mondiale. Nous on est content, ils ont beaucoup plus de morts que nous ! »

vendredi 6 mars 2020

Episode 53 On dirait le sud


Chers tous,

Me revoilà, comme il y a un an, et je dois dire que j’ai presque envie de faire de ce comeback une tradition annuelle.

Cette année, il faut que je vous avoue un truc, je donne tout pour devenir officiellement norvégienne. La loi a en effet changé récemment en Norvégie et autorise désormais la double nationalité. Je prévois ainsi de me faire naturaliser blonde. Legally blonde.

Qu’est-ce que cela implique me demandez-vous ? tout un bordel, voilà la réponse.

J’ai dû passer des tests de civilisation consistant en des questions pointues sur la profondeur de tel ou tel fjord, ou la date de couronnement d’obscurs rois vikings. Des connaissances qui ne servent à rien de chez rien. Si ce n’est peut-être de gagner au jeu des mille couronnes sur Norvegie Inter. Mais c’est quand même moche, ça n’existe pas.

Au programme également : réussir des tests de langue (5 heures d’examen au total pour une langue parlé par 5 millions de personnes – no comment) , lâcher un sacré pactole au ministère de l’immigration (on ne devient pas citoyen norvégien par charité) et documenter ma vie de A à Å, comme on dit ici.

Une fois que tout cela sera fait, il faudra enfin passer des examens de saut à ski, de pêche au saumon dans le fjord les mains attachées dans le dos, ainsi que de lancer de tronc. On n’est pas rendu.

En attendant, je travaille à mon intégration, et reviens ainsi des Canaries. Dit comme ça, on dirait qu’il n’y a aucun rapport avec la choucroute. Mais l’hiver là-bas, il y a la moitié de la Norvège. Si les Allemands vont à Majorque et les Québécois en Floride pour supporter la rudesse de l’hiver, mes copains les blonds ils vont dans le sud, comme ils disent. Mais ce n’est pas le sud de Nino Ferrer et sa poésie, non, ce sont les Canaries. La semaine d’hiver là-bas, c’est un rite de passage. Quelque chose à expérimenter au moins une fois dans une vie de nordique.

Comme Greta Thunberg est une lectrice assidue de Martine chez les Blonds, je préfère taire le moyen de locomotion que nous avons choisi pour ce voyage. Voici toutefois quelques indices pour mes lectures les plus astucieux :
-        - sandales et chaussettes, sac banane et short hawaïen dès l’embarquement à Oslo
-        - des Olav et des Birgitte en veux-tu en voilà, déjà alcoolisées et en manque de soleil depuis des mois
-        - Oslo-Tenerife direct en 6 heures

Sur place, on était littéralement cerné par les norvégiens. Un coup à retrouver la peste des mamans de la crèche ou le collègue qui pue de la gueule à la plage. L’enfer, c’est les autres. Cela dit, on était dans le même hôtel qu’un chanteur connu, un dirigeant d’une des plus grosses entreprises norvégiennes et qu’un joueur de foot norvégien.  Bon je ne vous dis pas les noms, ça risque de ne pas vraiment vous parler. #balec.

En plus, haha, la page wikipedia dudit joueur de foot indique justement qu’il n’a absolument rien fait pendant sa carrière. "Bakke n'a marqué aucun but lors de ses 27 sélections avec l'équipe de Norvège"Comme beaucoup des joueurs de foot norvégiens. Sauf peut-être Haaland, allez.


Par ailleurs, si vous aviez vu les donzelles monumentales en collants de sport au petit dej de l’hôtel le matin, vous auriez vite compris comme moi que seuls n’étaient pas les norvégiens qui répondaient présents à l’appel, il y avait aussi les petits gros du Danemark et nos copains (ou pas) les suédois, en mode gros crados venus étaler leur gourmette et leur tatouage de tortue au soleil … et comme dirait Bjørn-Håkon. « Ååååh putain, il y a même des finlandois »

Aux Canaries, tout est pensé pour faire plaisir aux nordiques qui rechargent les batteries de vitamine D.

Il y a des « bars à viking » où les retraités du nord aux peaux rougies (est-ce vraiment seulement dû au soleil ?), tels des oiseaux migrateurs passant la moitié de l’hiver sur place, (l’été il fait trop chaud, on est quand même mieux à Stavanger avec 15 degrés et de la pluie) se déhanchent sur ABBA en buvant des mignonettes de Jägermeister. Il y a des « sports bar » qui montrent le biathlon en norvégien, et des restaurants qui ont une carte de 8 pizzas en 23 langues (espagnol anglais allemand danois suédois norvégien hollandais finlandois etc) pour attirer les euros et les couronnes du nord de l’Europe. Le norvégien est d’ailleurs souvent la langue dont la traduction est la plus bâclée, ce qui vexe terriblement Bjørn Håkon. De toute façon, on mange pas dans ce genre de resto on s’en fout, je lui ai dit, mais il est quand même allé tacler un serveur pour une faute récurrente en norvégien alors qu’on ne faisait que passer. «Ca s’ecrit pas comme ça « jambon » monsieur, dans la langue d’Ibsen » qu’il a braillé, et il s’est barré super content. Bjørn Håkon a des principes. Enfin, comme les pays du nord de l’Europe exportent les vieux au soleil pour soulager leurs systèmes de santé sans réaliser ce que cela coute à l’Espagne, il y a aussi les médecins qui parlent, je cite, « scandinave ».  Parler scandinave c’est faire une soupe des trois langues scandinaves, un peu comme on mélangerait l’italien, l’espagnol et le français. Alors là, Bjørn-Håkon, quand il voit ça, il hyperventile.

C’est la première fois de ma vie qu’après six heures d’avion (merde, Greta va me griller) je trouve un supermarché qui vend du fromage marron norvégien, des journaux danois et dans lequel, encore plus inouï, on nous aborde spontanément en norvégien.

Bon, et que mes lecteurs se rassurent, on a évidemment vu des allemands. Surprise ! On a dit retraités, Europe du nord en manque de soleil, et sandales et chaussettes. Bingo ! Il y avait des chleuhs .

Notre séjour était par ailleurs formidable car dès qu’on s’éloigne des zones à touristes anglo-saxons, il y a des perles cachées aux Canaries, et on peut même entendre de l’espagnol dans la rue. Incroyable.

Notre retour a été plus compliqué en revanche, entre tempête de sable et corona virus, 2000 norvégiens étaient coincés aux îles Canaries. 2000, c’est La moitié du pays. Il y a eu l'état d’urgence en Norvège pendant deux semaines, la bourse a fermé et l’économie a été paralysée. On est arrivé à Oslo devant (véridique !) un parterre de journalistes, d’homme politiques, y avait même deux ministres[1]. Avec tout ça, si je la mérite pas ma naturalisation…




[1] A la sortie de l’aéroport, j’ai fait en sorte que mes deux enfants pleurent en même temps et d’avoir une tête affolée. Inger, la petite sœur de Gretel de 5 mois a même saigné du nez, on a tout donné, on a même pas été interviewés… #seum