dimanche 4 décembre 2011

Episode 11

Vendredi 15 avril 2011

Chers tous,
Il y a une chose qui continue de m’interpeller ici.
D’un côté, la Norvège est un pays extrêmement avancé sur plein de points. Peut-être même un des plus avancés du monde. Non contente d’être indécemment riche et d’être médaillée d’or de l’indice de développement humain de toute la planète, la Norvège a en prime une société décomplexée et très avancée : ici, on pense de façon libérée. Ici, on ne pédale pas la tête dans le saumon.
Les femmes ont eu le droit de vote il y a cent ans, la prostitution n'est pas punie (enfin seulement le client, c'est une société "girl power" :-) ), le mariage gay est une question archivée, les cellules des prisons sont vachement mieux que des apparts-hôtel Novotel, on remet le prix Nobel de la paix à un chinois en prison (après tout, avec 4,9 millions de norvégiens, qu’est ce qu’on en a à carrer de se fritter avec la Chine, merde ?).
En revanche, il y a des aspects de la société qui sont ULTRA conservateurs. L’exemple, qui n’est pas un détail : la prohibition de l’alcool. Des taxes frisant le ridicule sur la moindre canette de bière, des bouteilles de mauvais beaujolais-nouveau-d-il-y-a-3-ans-on-s-en-fout-à-l-etranger-ils-ont-pas-compris-le-concept à 75€. Le tout jalousement gardé dans les magasins appartenant à l’Etat, où il faut presque passer un interrogatoire à la caisse pour ramener à la maison sa bouteille de Malibu à 140 €. (je vous jure que ce dépliant rose fait foi, c'est mon permis de conduire (…) non je l’ai pas fait faire par une classe de maternelles(…) oui, j’ai un appareil dentaire sur la photo, à l’époque j’ai souri, je pensais que ce serait marrant, la conduite accompagnée(…))
Ca ne rigole pas du tout, vous n’imaginez pas. Un pote de Bjørn-Håkon s’est fait chopper dans la rue avec une bouteille vide de bière à la main, ça a été direct 250€ d’amende. BIM.[1]
Autre tiraillement de la société norvégienne : l’exemple de la relation de la Norvège avec les technologies d’une part et leurs racines de l’autre. Certes, avec un niveau de vie pareil, une densité d’habitants au km2 atteignant max celle de la Creuse dans le centre d’Oslo, et surtout, du fait de la nécessite d’être bien équipés, à cause d’un climat de cochon des neiges, on a besoin de technologies pour communiquer facilement. Pour avoir l'impression d'être connecté à plus de 7 personnes quand on vit dans une ville de Norvège de taille moyenne.
Du coup, tous les foyers ont l’Internet haut débit depuis 1995. Tout se fait en ligne aussi depuis belle lurette, et ils ont le plus haut taux de pénétration de l’Iphone au monde. Quand on monte à Oslo dans le tram, on a limite l'impression d'être sur le tournage d'une pub pour Apple. Je vous parle même pas du fait que pour prendre rendez-vous chez le médecin, c’est par sms, et que, mon préféré, on peut payer par carte dans les taxis. (Rhoooo, ça me fait tellement plaisir que vous allez refaire le tour du pâté de maison, monsieur.)
Du coup ici, je fais rire aux larmes mes collègues à la cantoche en essayant de leur expliquer le concept du Minitel. J’ai même cru que mon boss allait s’étrangler dans son fou-rire quand j’ai raconté que pour communiquer avec ma banque en France, la POSTE pour ne pas la citer, il fallait que j’envoie un fax. (J’ai du me faire trois antiquaires pour pouvoir envoyer ce p*** de fax, puis finalement j’ai rencontré une polonaise dont la famille immigrée venait d’en avoir un pour Noël. Nan je rigole, c'est nul.) Ils sont en avance sur tout et du coup il me croyaient pas trop avec mon histoire de fax (Sans parler du chéquier, où là ils ne me vont vraiment pas cru du tout).
C’est donc un peu comme s’ils avaient dans une main l’Iphone 7, et dans l’autre, un épluche patate.
Ils sont sincèrement très attachés à la terre, aux traditions, à leurs origines, à leur dialecte, et ont tous sans exception une partie de culture et de savoir-faire ruraux.
Déjà petits, ils apprennent à attraper et à manger des grenouilles, à buter des oiseaux migrateurs et à bâtir des tables en bois à l’école. Quand mes parents me disaient « tu as 2 mains gauches, on aurait du t’envoyer aux scouts », j’aurais dû leur répondre « Non, j’aurais plutôt du être à la maternelle à Lillehammer pour apprendre à construire une église en bois debout[2] avec Silje et Sindre »
Vous allez donc voir un Øyvind grand et beau, habillé super classe, pianoter sur son Iphone dans le tram à Oslo, en vous expliquant nonchalamment comment construire un igloo ou effrayer une meute de loups (véridique…). L’application de l’Iphone la plus téléchargée ici est un app’ qui repère les élans à 10 km à la ronde, pratique pour aller au travail.
Ce pays a une position vraiment surprenante entre traditions et modernité.
Le jour de la fête nationale, les norvégiens enlèvent leur jean Diesel ajusté ou leur petite robe Maje pour enfiler leur costume traditionnel. C’est des trucs magnifiques, brodés d’argent, qui coûtent la peau du derche et qui sont en général dans la famille depuis plusieurs générations. Et tout le monde en a. Tout le monde, même les bébés. Ca gratte et, à la longue, ça pue, mais ça en jette.
Autre exemple interpellant, à la coupe du monde de ski. Le roi arrive sur son balcon, devant le tremplin. Son entrée dans le stade est saluée par quatre blonds de la garde royale en uniforme impeccable, qui sonnent un coup de trompette, accompagné d’un « Mesdames et Messieurs, le roi » dans les haut-parleurs.
Et là, tu vois un gus avec un certain embonpoint débarquer dans un manteau Goretex ultra technique et avec un bonnet 4ème génération, qui tient bien chaud partout sur la tête, c’est pour ça que ça coute 4 380€, qu’on m’a expliqué.
Pour conclure ce nouvel épisode par la météo, le printemps semble aussi arriver à Oslo et j’ai désormais le plaisir d’aller au travail à vélo. J’ai l’impression d’être ainsi comme dans toute capitale européenne qui se respecte en soutenant la tendance écolo-bobo (bon même si j’admets que je n’ai pas dans mon panier des tomates à 55 euros le kilo achetées au marche bio du boulevard des Bâââtignôôôlles). Mais, alors que tranquillement je m’abandonne à croire, que c’est devenu moins dépaysant, maintenant que ces foutues tonnes de neige ont fondu, je me suis faite doubler lundi par un mec en ski à roulettes, avec la version été de la combi de ski…
Ils sont fous ces norvégiens.

Le bécot à tous,
Martine


[1] "Les putes oui mais l'alcool non, comment tu veux qu'on ait une chance d'accueillir un jour la coupe du monde de foot?? Bon heureusement c'est pas mieux en Suède donc ils ont pas plus de chance que nous" m'expliquait Bjørn-Håkon, un peu désabusé…
[2] Vous savez, ces superbes églises en bois sombre avec des planches verticales (et qui foutent sacrément les jetons si vous vous retrouvez tout seul dedans).

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